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Au Mexique, les élections 2024 seront «les plus violentes jamais enregistrées»

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À deux mois du plus grand scrutin de l’histoire du Mexique, prévu pour le 2 juin, la violence menace les aspirants à la course. D’après un rapport du Laboratorio Electoral, au moins 51 personnalités politiques, dont certaines étaient candidates à un poste, ont été assassinées.

Au Mexique, les élections se font aussi bien dans les urnes que dans le sang. Gisela Gaytán en a tragiquement fait les frais le 2 avril dernier, lorsqu’elle a été abattue en plein jour sur une rue animée de San Miguel Octopan. Candidate du parti Mouvement régénération nationale (Morena) pour la mairie de Celaya, dans l’État du Guanajuato, elle venait tout juste d’entamer sa campagne électorale, sans avoir encore obtenu la protection des autorités malgré sa demande. « C’est un triste jour », a aussitôt déclaré le président Andrés Manuel López Obrador.

Malheureusement, cet événement n’est que le dernier exemple d’une violence électorale endémique qui sévit de plus en plus au Mexique. Durant les élections à venir, les plus cruciales de l’histoire du pays, 20 375 postes seront votés, y compris celui de la présidence. Selon un rapport du Laboratorio Electoral publié le 3 avril dernier, depuis juin 2023, 51 personnes liées au processus électoral, dont 27 candidats, ont déjà été victimes d’assassinats – un bilan revu à la baisse par le gouvernement, qui recense seulement 15 assassinats.

À deux mois des élections, ce chiffre dépasse ainsi les 24 meurtres de candidats enregistrés en 2018, laissant présager des élections encore plus meurtrières que celles de 2021, au cours desquelles 30 candidats ont perdu la vie. À cela s’ajoutent encore 157 agressions, 75 menaces, 22 tentatives de meurtre et 9 enlèvements. « Ça montre que les élections au Mexique sont de plus en plus entourées de violence », déplore Maria Teresa Martinez Trujillo, professeure à l’École de Sciences sociales au Tecnológico de Monterrey et chercheuse associée au CERI-Sciences Po, spécialiste de la criminalité et des violences au Mexique. « Les élections 2024 seront les plus violentes jamais enregistrées », avertit quant à lui Arturo Espinosa, directeur du Laboratorio Electoral. Selon lui, ces chiffres sont voués à augmenter, « certaines municipalités n’ayant même pas encore commencé leur campagne ».

Les postes locaux majoritairement ciblés

Derrière ces violences se cachent, le plus souvent, des organisations criminelles qui prennent pour cible les candidats qui cherchent à briguer les postes municipaux – maires, députés et conseillers. « Le crime organisé tente d’exercer une influence locale en tuant les personnes qui participent aux élections municipales afin de pouvoir présenter des candidats proches de ces organisations », résume Arturo Espinosa.

Le pays compte près de 2 500 municipalités, qui sont souvent de connivence avec le crime. « Ces municipalités ont à disposition une part du budget public beaucoup plus accessible qu’au niveau fédéré, qui est plus contrôlé », ajoute Maria Teresa Martinez Trujillo, tout en soulignant la part des tensions intra-partisanes dans ces violences. Qui plus est, comme l’a montré l’assassinat de Gisela Gaytán, le protocole de protection présenté cette année par l’Institut national électoral reste défaillant concernant la protection des municipalités. Bien que ce mécanisme protège les candidats à la présidence, aux postes de gouverneur, à la Chambre des députés et au Sénat, les candidats aux postes locaux seraient uniquement protégés par les agences de sécurité des États et des municipalités. De plus, « les protocoles vont protéger les candidats seulement pendant la campagne électorale et s’arrêteront dès que quelqu’un gagnera l’élection », pointe Maria Teresa Martinez Trujillo. Selon la secrétaire (ministre) de la Sécurité, Rosa Icela Rodríguez, sur les 108 demandes de protection, seules 10 ont été rejetées.

Un « danger pour la démocratie »

Si la violence transcende toutes les couleurs politiques et les niveaux de gouvernement, elle se concentre le plus cruellement dans les États qui ont « un lourd passé en matière de violence et d’organisations criminelles », comme le rappelle Arturo Espinosa. L’État du Michoacán détient ainsi le triste record de 36 assassinats. Dans l’État voisin, Guerrero, qui dénombre actuellement 12 assassinats et 8 agressions, Tomás Morales Patrón, candidat de Morena à la mairie de Chilapa, a été abattu le 12 mars. Deux jours plus tard, au Chiapas, où le crime organisé s’est implanté solidement ces derniers mois, le corps du candidat Diego Pérez Méndez était retrouvé, portant des traces de torture.

Une série de décès politiques qui met en péril la représentativité électorale lors du grand scrutin du 2 juin. Plusieurs candidats se sont déjà retirés de la course, si bien que dans certaines municipalités, comme celles de Chilapa (Guerrero) et de Maravatío (Michoacán), le parti Morena, force politique majeure du pays, n’est plus en mesure de présenter des candidats. Au total, 34 aspirants à des fonctions électives ont démissionné au Michoacán, contre 13 au Chiapas et 7 à Jalisco. « C’est un danger pour la démocratie. L’un des éléments essentiels d’une élection, c’est la liberté qu’ont les personnes qui cherchent à obtenir un poste à candidater », avance le directeur du Laboratorio Electoral.

Plusieurs partis politiques, comme le Parti d’action nationale et le Parti révolutionnaire institutionnel, se sont également plaints de l’absence de garanties de participation pour les électeurs. En 2021, le vote ou le dépouillement ont été suspendus dans 75 bureaux de vote en raison de la violence. Les États du Michoacán, de México et du Chiapas représentaient à eux seuls les trois quarts des bureaux de vote touchés. Au Chiapas, les communes de Siltepec et de Honduras de la Sierra ont même été contraintes d’annuler leurs élections, reportées à 2022 pour la première et empêchées depuis pour la seconde.

L’insécurité au cœur des programmes

Pour Hélène Combes, directrice de recherche au CNRS et spécialiste des partis politiques au Mexique, cette violence n’est pourtant pas nouvelle. « La coordination du calendrier électoral, qui est de plus en plus forte, visibilise une violence électorale locale qui était invisible avant car elle était en dehors de la période des élections nationales », précise-t-elle. Pour cause, ce n’est qu’en 2018 que le calendrier électoral mexicain fut harmonisé, afin de diminuer le coût des campagnes et d’augmenter le taux de participation. Avant cette date, chaque État fédéré avait son propre calendrier électoral et le pays était en situation d’« élections permanentes ».

Cette violence est d’autant plus visible que la question de l’insécurité est au cœur de la campagne présidentielle cette année. D’un côté, l’opposition pointe du doigt les résultats du sexennat de López Obrador, qui dépasse les 180 000 meurtres selon un rapport de T-ResearchMx. Sa candidate, Xochitl Galvez, promet ainsi de lutter frontalement contre le crime organisé, de construire une prison à sécurité maximale et d’en finir avec la politique des « abrazos, no balazos » (en français, « des câlins, pas des balles »). De l’autre, Claudia Sheinbaum, candidate du parti au pouvoir, se targue d’avoir réduit de moitié le nombre d’homicides lorsqu’elle était à la tête de la ville de Mexico entre 2018 et 2023 et s’engage à s’attaquer aux « causes de la violence », notamment en renforçant les programmes sociaux à destination des jeunes.

Rfi

 

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