Sous l’effet des conflits, des chocs économiques et des catastrophes climatiques, l’insécurité alimentaire s’est encore aggravée dans le monde en 2022, 258 millions de personnes ayant eu besoin d’une aide alimentaire d’urgence contre 193 millions l’an passé, ont alerté mercredi plusieurs agences de l’ONU.
Il s’agit du chiffre le plus élevé depuis la création du rapport il y a sept ans. En 2021, 193 millions de personnes dans 53 pays et territoires étaient confrontées à une insécurité alimentaire aiguë, selon le dernier Rapport mondial de l’ONU sur les crises alimentaires, relevant que cette croissance reflète en grande partie une augmentation de la population analysée.
L’insécurité alimentaire aiguë progresse « pour la quatrième année consécutive », avec des millions de personnes « souffrant d’une faim si sévère qu’elle menace directement leur vie », soulignent les 17 acteurs de ce réseau, qui réunit l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le Programme alimentaire mondial (PAM) ou encore l’Union européenne, mais aussi des agences gouvernementales et non gouvernementales, qui s’efforcent de lutter ensemble contre les crises alimentaires. Dans ces conditions, des habitants de sept pays sont au bord de la famine.
Incapacité de l’humanité à progresser vers les ODD
« Plus d’un quart de milliard de personnes sont aujourd’hui confrontées à des niveaux aigus de faim, et certaines sont au bord de la famine. C’est inadmissible », a écrit le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, dans l’avant-propos du rapport.
En 2022, la gravité de l’insécurité alimentaire aiguë est passée à 22,7%, contre 21,3% en 2021, mais elle reste « inacceptable et souligne une tendance à la détérioration de l’insécurité alimentaire aiguë dans le monde ».
« Cette septième édition du Rapport mondial sur les crises alimentaires est une mise en accusation cinglante de l’humanité, incapable de progresser vers l’élimination de la faim, l’objectif de développement durable numéro 2 » de l’ONU, a ajouté le chef de l’ONU, António Guterres, en introduction de ce rapport.
Selon le document, plus de 40% de la population en phase 3 ou supérieure du Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC) réside dans cinq pays seulement : l’Afghanistan, la République démocratique du Congo (RDC), l’Éthiopie, certaines parties du Nigéria (21 États et la capitale fédérale) et le Yémen.
Inquiétudes en Afghanistan, Burkina Faso, Haïti, Nigéria, Soudan du Sud et Yémen
Les habitants de sept pays ont été confrontés à la famine et au dénuement, ou à des niveaux catastrophiques de faim aiguë (phase 5) à un moment ou à un autre de l’année 2022.
Plus de la moitié de ces personnes se trouvaient en Somalie (57%), tandis que ces circonstances extrêmes se sont également produites en Afghanistan, au Burkina Faso, en Haïti (pour la première fois dans l’histoire du pays), au Nigéria, au Soudan du Sud et au Yémen.
Environ 35 millions de personnes ont souffert de faim aiguë (phase 4 de l’IPC) dans 39 pays, dont plus de la moitié dans quatre pays seulement : l’Afghanistan, la République démocratique du Congo, le Soudan et le Yémen.
En outre, dans 30 des 42 principales crises alimentaires analysées dans le rapport, plus de 35 millions d’enfants de moins de cinq ans souffraient d’émaciation ou de malnutrition aiguë, dont 9,2 millions d’émaciation sévère, la forme de dénutrition la plus dangereuse pour la vie et qui contribue fortement à l’augmentation de la mortalité infantile.
Principaux facteurs des crises alimentaires
« Les conflits restent le principal moteur des crises alimentaires », indique la FAO dans un résumé du rapport, mais les chocs économiques, liés à la pandémie de Covid-19 et aux répercussions de la guerre en Ukraine, ont pesé plus lourdement dans certains pays en 2022. Les conflits et l’insécurité ont été le facteur le plus important dans 19 pays/territoires, où 117 millions de personnes se trouvaient en phase 3 ou supérieure de l’IPC/CH ou en situation équivalente.
Cette estimation plus basse s’explique par le fait que les chocs économiques ont dépassé les conflits en tant que principal facteur d’insécurité alimentaire aiguë dans trois pays encore touchés par des crises prolongées : l’Afghanistan, le Soudan du Sud et la Syrie.
Les événements météo extrêmes liés au changement climatique, comme la sécheresse historique dans la Corne de l’Afrique ou les inondations dévastatrices au Pakistan ou la sécheresse en Afrique australe, sont aussi des causes majeures de l’aggravation de cette insécurité alimentaire. Ils ont été le principal facteur d’insécurité alimentaire aiguë dans 12 pays où 56,8 millions de personnes se trouvaient en phase 3 ou supérieure de l’IPC ou équivalent, soit plus du double du nombre de personnes (23,5 millions) dans huit pays en 2021.
Plus globalement, rien n’indique que ces facteurs s’atténueront en 2023. Selon l’ONU et ses partenaires, le changement climatique devrait aggraver les phénomènes météorologiques extrêmes, les économies mondiales et nationales sont confrontées à de sombres perspectives, tandis que les conflits et l’insécurité risquent de persister.
Pour un changement « fondamental et systémique »
Selon les projections pour 2023 disponibles pour 38 des 58 pays/territoires en mars 2023, jusqu’à 153 millions de personnes (soit 18% de la population analysée) seront en phase 3 de l’IPC/CH ou plus. En outre, environ 310.000 personnes devraient se trouver en phase 5 dans six pays : le Burkina Faso, Haïti, le Mali, certaines parties du Nigéria (26 États et la capitale fédérale), la Somalie et le Soudan du Sud, dont près des trois quarts en Somalie.
Face à ces prévisions inquiétantes, l’ONU a appelé à un changement de paradigme en faveur d’une meilleure prévention, d’une meilleure anticipation et d’un meilleur ciblage pour s’attaquer aux causes profondes des crises alimentaires, plutôt que de répondre à leurs impacts lorsqu’elles se produisent. Du point de vue du développement, il est de la plus haute importance d’augmenter les investissements de base pour s’attaquer aux causes profondes des crises alimentaires et de la malnutrition infantile.
« Cette crise exige un changement fondamental et systémique. Ce rapport montre clairement que des progrès sont possibles. Nous disposons des données et du savoir-faire nécessaires pour construire un monde plus résilient, plus inclusif et plus durable, où la faim n’a pas sa place – notamment grâce à des systèmes alimentaires plus solides et à des investissements massifs dans la sécurité alimentaire et l’amélioration de la nutrition pour tous, où qu’ils vivent », a conclu M. Guterres.