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Vers une refondation économique du Sénégal (par Dr Abdourahmane Ba)

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L’élection du Président Bassirou Diomaye Faye en avril 2024 a cristallisé les aspirations d’un peuple à bout de souffle, confronté à une dégradation continue de ses conditions de vie, à un sentiment d’injustice économique et à une marginalisation persistante d’une majorité de jeunes. Sa prise de fonction s’est opérée dans un climat d’exigence de rupture, nourri par l’accumulation de frustrations liées à une décennie de gouvernance perçue comme déconnectée, clientéliste et inefficace. Face à une société marquée par le désespoir social, le nouveau régime a fait le choix d’un double cap : rétablir la dignité économique des citoyens par des mesures immédiates de soulagement, et engager les fondations d’une réforme en profondeur de l’État et du système productif national.

La lutte contre la vie chère est devenue la pierre angulaire de ce nouveau contrat social. À Dakar comme dans les régions, le prix du sac de riz, du litre d’huile ou de la baguette de pain s’était transformé en symbole du décalage entre les discours officiels et la réalité quotidienne. Les baisses décidées dès les premiers mois – riz ordinaire, pain, sucre, huile – ont constitué un signal fort de volonté politique. Dans un pays où l’alimentation absorbe plus de 50 % du revenu des ménages pauvres, cette réduction des prix, bien qu’incrémentale, a représenté un soulagement tangible. Le retour progressif à une inflation contrôlée (0,8 % en 2024 contre 9,7 % en 2022) a redonné de l’oxygène aux familles, notamment celles vivant de revenus fixes ou d’activités informelles précaires.

Mais ce soulagement s’est construit dans l’urgence et sur un terrain miné : celui d’un État affaibli par une décennie de dérives budgétaires, de contrats opaques et de politiques sociales inefficaces. Le rapport d’audit publié fin 2024 a confirmé ce que beaucoup soupçonnaient : un État captif d’intérêts privés, une dette dissimulée, et une architecture de dépenses publiques déconnectée des priorités sociales. La flambée de la masse salariale, les subventions mal ciblées et les engagements hors budget ont aggravé la vulnérabilité financière du pays. La rigueur imposée depuis lors – réduction du train de vie de l’État, gel des dépenses de prestige, renégociation des contrats pétroliers et miniers – répond à une exigence de restauration de la souveraineté budgétaire, condition de toute politique sociale crédible.

Dans ce contexte, le référentiel Sénégal 2050, lancé par le président Faye, propose une rupture assumée avec les cycles de croissance extravertie et dépendante. Il articule le court terme (soulager les ménages, restaurer la confiance dans les services publics) et le long terme (souveraineté productive, transformation structurelle). L’agriculture en devient le pilier central. Redonner au paysan sénégalais les moyens de produire et de vivre dignement, c’est aussi sécuriser l’assiette alimentaire nationale, réduire les importations, et stabiliser durablement les prix. Ce lien entre production locale et pouvoir d’achat – évident pour les marchés de Louga, Kolda ou Kaolack – est désormais institutionnalisé dans les choix budgétaires. Il traduit une approche pragmatique de la souveraineté économique.

Mais la transformation attendue ne peut se résumer à la modération des prix. La jeunesse sénégalaise – majoritaire, informelle, instruite mais sous-employée – incarne le cœur de la promesse démocratique de Diomaye Faye. Aujourd’hui, 47 % des jeunes de 15 à 24 ans sont sans emploi, sans formation, sans perspectives (NEET). Cette marginalisation n’est pas seulement économique : elle est sociale, territoriale, psychologique. Elle nourrit l’exil irrégulier, le désenchantement politique, et parfois la colère urbaine. À Pikine, Tambacounda ou Ziguinchor, des milliers de jeunes diplômés, sans réseau ni capital social, se heurtent à un mur d’indifférence. Le gouvernement, conscient de cette fracture, a mis en place le Programme national pour la jeunesse (PNDJ), restructuré les dispositifs de formation, et initié une nouvelle politique d’inclusion économique fondée sur l’entrepreneuriat, la formation courte, et l’accès simplifié au crédit.

Cependant, toute réforme ambitieuse doit affronter le défi de la mise en œuvre. La fragmentation institutionnelle, la lenteur bureaucratique et la défiance des bénéficiaires potentiels menacent l’efficacité des instruments publics. Pour réussir, ces politiques devront faire preuve de proximité : aller vers les jeunes, traduire les intentions en formations utiles qui débouchent sur de vrais emplois ou revenus. Cela implique un changement de culture dans l’action publique : de la logique de guichet à la logique d’accompagnement. La réussite du PNDJ dépendra aussi de la capacité à inclure les jeunes femmes rurales, aujourd’hui massivement inactives, et à territorialiser les dispositifs pour tenir compte des inégalités régionales, souvent ignorées dans les statistiques nationales.

Le second pilier de l’insertion repose sur la relance des secteurs à fort potentiel d’emplois : agro-industrie, BTP, économie numérique, services à la personne. Ces filières, déjà porteuses d’initiatives locales innovantes, doivent être soutenues à travers la commande publique, des incitations fiscales adaptées, et des infrastructures de soutien (zones industrielles, marchés de transformation, incubateurs ruraux). Cette stratégie requiert un pilotage fin et une volonté d’enracinement local. Elle rompt avec la logique de grands projets sans effet d’entraînement sur le tissu économique domestique. Elle rejoint les recommandations des travaux sur l’emploi manufacturier inclusif, et appelle à une réhabilitation du « petit investissement utile » contre le « mégaprojet stérile ».

Pour rendre ces politiques soutenables, le Sénégal devra réformer sa gouvernance fiscale : élargir l’assiette, numériser la collecte, lutter contre l’évasion et le favoritisme fiscal. L’objectif n’est pas seulement de lever plus de ressources, mais de les redistribuer de manière transparente et équitable. Cette nouvelle justice fiscale, exigée par les syndicats, les PME et la société civile, est aussi une condition de la reconstitution du lien civique. Elle permettra de financer un socle de protection sociale universelle qui garantit un minimum de sécurité aux travailleurs précaires, artisans, femmes commerçantes et jeunes auto-entrepreneurs, qui constituent l’épine dorsale d’une économie trop longtemps ignorée.

En définitive, la politique économique du Président Diomaye Faye s’apparente à une tentative courageuse de rééquilibrage entre dignité sociale et redressement structurel. Les signaux envoyés sont forts : baisse des prix, audit de l’État, recentrage des priorités, recentrage de la jeunesse. Mais les attentes sont immenses, et le temps politique sera court. L’essentiel résidera désormais dans la capacité du gouvernement à exécuter, à convaincre, à faire participer. Dans cette dynamique, le suivi-évaluation des réformes, l’écoute active des territoires, et la clarté dans la communication publique seront des leviers décisifs pour faire de cette transition non pas un simple soulagement passager, mais une refondation durable du contrat économique et social sénégalais.

Dr Abdourahmane Ba

Ingénieur statisticien, docteur en management 

Expert International en Politiques Publiques, Management et S&E des Programmes et Projets

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