La victoire politique de PASTEF en 2024 n’a pas été une simple alternance. Elle a constitué une reconfiguration profonde des attentes citoyennes à l’égard de l’État. Porté par un projet de société ambitieux, le mouvement a canalisé une crise de légitimité accumulée sous les régimes précédents. La base électorale n’a pas voté pour une structure partisane ou un leader éclairé, mais pour une vision normative articulée autour de la souveraineté, de la justice sociale et de l’intégrité publique.
Le projet proposé s’inscrivait dans une logique de transformation systémique de l’État, bien distincte des approches gestionnaires classiques. À la manière des réformes définies par la gouvernance adaptative, il instaurait une rupture avec les structures d’allocation clientélistes et consolidait la capacité stratégique de l’administration. L’État cessait d’être un simple prestataire de services pour devenir un vecteur de souveraineté démocratique et de justice sociale.
Or, depuis l’arrivée au pouvoir, la distance entre l’ambition affichée et les pratiques gouvernementales s’est creusée. Cette dérive reflète un retour progressif à des logiques anciennes, faute d’ancrage institutionnel du projet. Ce flou entretient la confusion chez les citoyens qui attendaient une refonte du cadre de gouvernance.
La persistance des agences budgétivores illustre cette tension. Aucun plan sérieux n’a été engagé pour les supprimer, les fusionner ou les réorienter. Si le CESE et le HCCT ont été dissous, cela n’a pas débouché sur une stratégie plus large de réduction des dépenses publiques. Les structures inefficaces subsistent, tout comme les dépenses de prestige. Cette continuité brouille le message de rupture et affaiblit la crédibilité du changement promis. Sans réforme structurelle, les institutions tendent à reproduire les anciennes routines et à maintenir des dispositifs incompatibles avec les principes d’austérité et de justice redistributive.
Le défaut de stratégie en matière d’emploi des jeunes constitue un angle mort majeur. Aucun plan structuré, aucun mécanisme de financement ou cadre de suivi n’a été mis en place. Cette lacune affaiblit le lien entre projet politique et politique publique. L’intégration de la jeunesse dans des politiques cohérentes constitue pourtant un pilier de la stabilité démocratique.
Le projet initial ne se réduisait pas à une démarche partisane. Il reposait sur une volonté de refonder le contrat social. La légitimité repose sur le dialogue public et l’engagement collectif. Toute dérive vers une personnalisation du pouvoir ou vers une fidélité partisane contrainte, comme le prélèvement imposé aux hauts fonctionnaires, vide le projet de sa substance républicaine.
L’érosion programmatique s’accentue à mesure que le récit de transformation perd sa centralité. En l’absence de cohérence entre le verbe politique et l’action publique, l’espace de l’innovation se réduit. Cette dynamique ouvre la voie à une résignation citoyenne et à un recul du civisme démocratique.
La relance du projet passe par une redéfinition stratégique des priorités. Il faut définir des objectifs mesurables, des indicateurs vérifiables, et un calendrier d’action crédible. Un développement démocratique progressif exige une articulation claire entre vision, apprentissage institutionnel et innovations ciblées.
L’année 2024 a ouvert une possibilité historique. Elle a permis d’initier une refondation de l’État sur la base d’un mandat populaire fort. Préserver ce legs implique de maintenir une cohérence entre vision, institutions et résultats. Si cette cohérence disparaît, le réveil ne sera pas seulement douloureux, il pourrait sonner la fin prématurée d’une des expériences politiques les plus prometteuses du Sénégal contemporain.
Dr Abdourahmane Ba
Expert International en Politiques publiques, suivi & évaluations et management