Le financement de la santé, dans un contexte mondial tendu, est au coeur des préoccupations de l’Associtation des journalistes en santé, population et développement (AJSPD). Pour étudier le dossier, qui de mieux que Maleine Amadou Niang, directeur de l’International Budget Partnership. Invité des « Mercredi de l’AJSPD », il a abordé dans un premier temps le principe du financement, les sources potentielles et les ressources réelles, qui sont disponibles pour le secteur de la santé. Il estime que le gros problème est la décentralisation.
« Il y a une fuite en avant – on donne à des collectivités territoriales, des cyompétences et on ne leur donne pas des ressources. Et la conséquence se ressent du point de vue des communautés, notamment des femmes des zones rurales qui supportent la hausse des dépenses en santé, et au niveau des ménages », a-t-il dit.
Le financement de la santé est l’un des piliers du capital humain. Dans la vision 2050 des nouvelles autorités, une place fondamentale est donnée à la question. Ce qui implique, d’après lui, plusieurs secteurs : l’éducation, la santé, la protection sociale. Il ajoute : « dès qu’on parle de santé, on pense à certaines catégories, les femmes, les personnes handicapées, les zones rurales, l’infrastructure et à des sous-thématiques comme la santé mère-enfant, la vaccination, qui sont les premiers éléments du capital humain. Car lorsqu’on rate les cinq premières années de la vie d’un enfant, on a perdu l’essentiel de sa vie, en tout cas dans 80-90% des cas. Donc, il est important d’investir à ce moment-là. Cette stratégie est arrivée aujourd’hui à une nouvelle lettre de politique sectorielle. D’ailleurs, mes collaborateurs sont à Durban (Afrique du Sud) et seront à Fatick, ce vendredi, pour la dissémination de la lettre de politique sectorielle. Il est prévu de se rapprocher de vous (la presse) pour avoir des activités d’information et de dissémination de cette nouvelle lettre de politique sectorielle qui porte autour de l’équité, la responsabilisation, l’efficacité, la réduction des pertes dans le secteur de la santé. Avant même de parler du problème des ressources additionnelles, il faut admettre quelque chose. On a des pertes d’efficacité dans le secteur de la santé. Lorsque vous regardez son système de financement, il faut d’abord regarder le système de financement de l’économie sénégalaise. Parce que le système de financement de la santé n’est pas en marge du système de financement de l’économie sénégalaise. De manière ramassée, l’économie sénégalaise est financée principalement grâce à l’entreprise, mais également grâce à l’appui des partenaires extérieurs, de dons, de revenus du domaine, de revenus des participations de l’État dans les entreprises, etc. Mais lorsqu’on parle de revenus d’un État, c’est la fiscalité. Maintenant comment se finance la santé ? Théoriquement, elle est financée par les ressources du budget général, donc de l’État à travers le ministère de la Santé, mais également du budget des collectivités territoriales. Avec l’approche One Health, normalement, tous les secteurs qui ont des contributions directes ou qui sont sensibles à la santé doivent contribuer au budget de la santé. Dans le langage des politiques publiques, c’est ce qu’on appelle le financement par fonction, et plusieurs ministères doivent contribuer à ces fonctions-là. Malheureusement, le Sénégal n’est pas dans cette situation précise-là. On est encore à des étapes très nouvelles de ce qu’on appelle le budget programme. Ce qui fait que l’essentiel des dépenses vont être logées au ministère de la Santé. Après, lorsque vous regardez la santé primaire, vous regardez l’acte 3 de la décentralisation, qui est le code de notre décentralisation, vous verrez que l’essentiel des services de santé doit être disponible au niveau communautaire, financé donc théoriquement par les collectivités territoriales. Mais quel est le financement réel de la santé ? Et c’est là le premier problème qui se pose. La santé est essentiellement financée par une partie des ressources de l’État, mais elle est essentiellement financée par les revenus des ménages et les partenaires extérieurs. Les partenaires techniques et financiers, ce ne sont pas des ressources éternelles et permanentes. Ils sont là, nous avons les ressources, ils ne sont pas là, nous n’en avons pas. Même s’ils sont dans les secteurs névralgiques de la santé : la santé mère-enfant, la vaccination, l’achat de certains produits, radicalement contrôlés par les partenaires extérieurs. Et malheureusement, la coopération, elle a toujours un but politique. Donc c’est un alignement d’intérêts. Lorsqu’on n’est pas aligné, ce sont des retraits. Mieux, on devient de plus en plus sensible à ce qui se passe dans d’autres économies. »
Pour le directeur de l’International Budget Partnership, les comptes nationaux de la santé ont montré la place du financement des ménages dans les dépenses de santé, notamment l’achat de médicaments. Et ça pose problème. Et pour cause : « Il faut revenir de manière simple à comment vous et moi fonctionnons comme ménage. Lorsque nous avons nos revenus et que nous avons fini de payer les impôts, ce qui nous reste pour ceux à qui il reste quelque chose n’est pas conséquent. Et dans ces dépenses-là, on a des dépenses qui sont en concurrence : la santé, l’éducation et la nutrition d’après les études. Dès qu’un poste de dépense évolue de manière importante, on se rend compte que les autres restent. Lorsque les dépenses de santé sont élevées pour un ménage, c’est moins de dépenses pour l’éducation qui, souvent, n’est pas sacrifiée, mais c’est surtout moins de dépenses pour la nutrition qui est un intrant important de la santé qui souvent est sacrifiée. Qu’est-ce que ça laisse comme option ? De réduire la qualité des repas pour ceux qui en ont encore trois, de réduire le nombre de repas lorsque la réduction de la qualité des repas n’est pas suffisante. Et dans la pire des hypothèses, de réduire et le nombre et la qualité des repas. On se rend compte qu’on a deux conséquences néfastes, qui sont la baisse des ressources consacrées à d’autres dépenses chez les ménages, la baisse de la qualité de certaines dépenses chez les ménages, lesquelles contribuent au moins pour la nutrition, à l’attention de la santé. Donc vous voyez l’interaction qu’il y a entre les finances, les politiques publiques, les choix de l’État et ce que les ménages sont en capacité de faire «
Après l’USAID, vers le retrait de l’UNFPA
D’après Maleine Amadou Niang, le retrait des partenaires techniques et financiers est venu alourdir les soucis du secteur. « L’USAID l’a annoncé. Beaucoup de pays, peut-être par sentiment de fierté, ont sous-estimé l’importance de ce retrait-là dans la mise en œuvre des politiques sanitaires médicinales. Mais ce n’est pas seulement l’USAID. L’UNFPA a annoncé hier qu’ils ont eu l’information du gouvernement américain qu’on arrêterait de financer leur programme. L’USAID-UNFPA combinés, c’était la présence dans le paludisme, l’achat de médicaments, le soutien à la santé communautaire, le soutien à beaucoup d’activités qui sont nécessaires dans le système de santé et que les États ne financent pas. Quelles vont être les conséquences financières? L’Union Européenne a annoncé des coupes dans ses budgets, de même que la banche de développement du gouvernement britannique. Ce qui nous intéresse, ce n’est pas seulement ce que ça coûte financièrement à notre économie. Mais comment ça change individuellement la vie des Sénégalais au quotidien. Et la crainte que j’ai en tant qu’observateur, c’est que l’essentiel de ces dépenses-là allait à des programmes importants -maladies transmissibles, maladies non transmissibles… Mais ça allait aussi à quelque chose qui m’est cher, c’est l’achat de produits, l’achat de médicaments. Et tout cela se passe dans un contexte financier international compliqué, dont les conséquences se recentrent au niveau national. Le message que je lance, c’est qu’il ne faudrait pas que les ménages payent les coûts. La chance que nous avons est de ne pas être d’un bord politique, c’est d’avoir la latitude, sur la base d’arguments scientifiques, de dire des choses que nous pensons être fondées sur la base de données probantes. Aujourd’hui, le Sénégal est dans une dynamique où on doit refondre nos finances publiques, dans un contexte que vous connaissez, mais on a un certain nombre de lourdeurs qui vont retarder, pour ne pas dire inhiber l’action publique. On a une dette publique qui dépasse près de 100% du PIB, un déficit qui fait 3-4 fois la norme communautaire. L’État empruntait à 3% ou à 5%, maintenant, ce sera 7 à 8%, sans oublier l’emprunt à près de 0% des ressources concessionnelles, comme prévu par le FMI, qu’on n’a plus la possibilité de monter. Et cela se ressent dans les marges de manœuvre budgétaire de l’État. Aujourd’hui, on est dans un pays où, en plus de la pauvreté, on a de la vulnérabilité. La vulnérabilité, c’est quoi ? C’est le nombre de personnes qui seraient demain pauvres s’il se passait un choc et que l’État ne réagissait pas. Après la Covid-19, on a eu la crise russo-ukrainienne puis la lancinante crise des changements climatiques qui affecte beaucoup la santé. Il faut se préparer à ce que les populations aient des difficultés à accéder à un certain nombre de services. La santé, ce sont des ressources humaines, des investissements, des produits, la formation, l’information, la communication. Malheureusement, lorsqu’un État n’a plus beaucoup de ressources, les partenaires lui tordent le bras pour qu’ils remettent les ressources dans des investissements productifs. Et ces investissements productifs, en général, c’est au détriment du capital humain. Il faut faire attention. On avait pensé avoir éradiqué certaines choses. Le paludisme est en train de refaire ses frappes. La Fondation Gates, qui est l’un des principaux partenaires de la santé, a annoncé que dans 20 ans, elle arrêtera ses intérêts », a-t-il expliqué.
Le rôle primordial de la presse
Des pistes ne manquent pas. Le directeur de l’IBP plaide pour un investissement dans les ressources humaines, plus de subventions dans un secteur aussi névralgique.
« Avec les perspectives de croissance, pétrole et gaz, lorsqu’on atteindra un taux de croissance à deux chiffres, il y a des choses sur lesquelles nous serons plus éligibles, notamment les financements de Gavi sur la vaccination. À ce moment, qui prendra en charge ces dépenses-là ? Et qui les prend en charge déjà au moment où je vous parle ? Il y a déjà un problème avec l’achat des produits. Nous n’avons pas la capacité d’acheter au même prix que l’UNFPA, les grandes centrales d’achat, parce que notre marché est petit », a-t-il avancé, appelant à investir dans le développement des industries pharmaceutiques. Il en profite pour inciter les journalistes à élever le débat autour de ces axés. Ce qui passe par un travail de terrain comme c’est le cas de l’équipe de l’International Budget Partnership. « Tout cela amène à dire qu’il faut aller vers une souveraineté au plan des dépenses sanitaires, vers une souveraineté vaccinale, pharmaceutique. Beaucoup de gens parlent de fonds, de mécanismes alternatifs de financement. Aller vers la mobilisation des ressources de la diaspora, c’est bien, mais le problème de nos pays, c’est la matérialisation. Avant de parler des mécanismes alternatifs, il faut voir les mécanismes que nous avons à titre principal. Un pays se développe à travers sa fiscalité s’il n’a pas de ressources naturelles. Encore que ceux qui ont privilégié les ressources naturelles sur la fiscalité, ils l’ont regretté. C’est ce qui s’est passé au Nigeria et en Arabie saoudite. Il faut un lien ténu entre la mobilisation des ressources et les dépenses de santé », a-t-il préconisé.
